Atelier thématique commun aux réseaux ACDD et ReHaL avec le soutien de la Fondation de l’Écologie Politique
L’État, penseur de la technique malgré lui ? Des politiques sous influence
Mercredi 5 avril 2023 9h30-16h30 à Paris
Entrée libre et retransmission en visioconférence
Coordinateurs de la séance : François Ménard et Jérôme Boissonade
Le domaine de l’habitat est encadré de longue date par des normes techniques. Ces derniers temps, à la faveur de la lutte contre le changement climatique, elles semblent avoir été investies d’un volontarisme plus fort au point que leur dimension politique, jusque-là perçue en mode mineur – entre modernisation technico-sanitaire et régulation du marché – nous parait aujourd’hui manifeste, intégrant une panoplie d’instruments plus large pour constituer de véritables politiques techniques
Des agencements techniques du politique ambigus
Ces politiques techniques permettent à la puissance publique d’orienter les dispositions constructives afin de répondre aux exigences considérées historiquement comme fondamentales – la sécurité des bâtiments ou la santé des usagers -, mais aussi désormais comme impératives – les économies d’énergie, la décarbonation et plus généralement les enjeux environnementaux.
Mais ces politiques embarquent avec elles d’autres objets, d’autres normes et d’autres récits que ceux d’une “transition écologique”, et elles entrent en tension avec d’autres dimensions de la vie sociale. Ces politiques techniques méritent donc d’être interrogées pour ce qu’elles sont, pour ce qu’elles impliquent et pour ce qu’elles pourraient être.
Censés s’appuyer sur des considérations objectives et promulguer des dispositions de nature technique, les organismes chargés de les mettre en œuvre et d’en réguler le déploiement (CSTB, ADEME, ANAH, etc.) y occupent un rôle particulier. Constituant des agencements, conduisant des expertises, produisant des référentiels, dessinant des feuilles de route, ils participent à leur construction sociale, économique et politique sans que leurs apports soient toujours visibles. Ils méritent d’être examinés, compte tenu d’un côté de leurs capacités configuratrices sur les pratiques de l’habiter et de l’autre sur les limites constatées ou alléguées de leurs effets.
Cartographier les acteurs ?
À côté des labels qui anticipent ou concurrencent une réglementation volontariste à une échelle supranationale, le lobbyisme traditionnel des acteurs économiques et les stratégies ambitieuses des cabinets de conseil influent sur les textes qui régulent directement ou indirectement les mondes de la construction et de l’urbanisme (directives européennes, lois, décrets, circulaires, normes, certifications, labels, etc.), qu’il s’agisse de la taille ou de la qualité de l’air des logements, des modalités de leur mise en œuvre ou de leur financement, du type de bâtiments ou de publics concernés, etc.
Cependant, à côté des politiques menées par la puissance publique et ses agences, les groupes de travail tels ceux du Plan bâtiment durable, la « gouvernance à cinq » issue du Grenelle de l’environnement ou la « New approach » promue par la Commission européenne, traduisent la prise en compte d’autres mondes politico-techniques et consacrent non sans quelque ambiguïté leur reconnaissance publique. On voit ainsi émerger des initiatives individuelles, et collectives mobilisant des chercheur·e·s, des technicien·ne·s, des élu·e·s ou encore des associations luttant contre la pollution ou l’énergie nucléaire. Ces initiatives participent au champ des politiques techniques parce qu’elles s’organisent, se revendiquent d’une certaine technicité ou de son alternative et produisent également des référentiels (Negawatt, Shift project) qui influencent indirectement l’action publique.
Une fragmentation des politiques techniques
Mais on aurait tort de prendre ce tableau pour un continuum de positions plus ou moins marquées et les politiques techniques comme l’expression de ce que ces positions ont de commun. De même, croire à une désormais neutralité technique d’un État arbitre, ou, à l’opposé, le voir comme défendant une position exclusive, serait tout aussi fallacieux, dans le secteur de l’habitat du moins.
Le rejet du projet initial de règlementation thermique RT 2020 par les acteurs du bâtiment et les biais de la règlementation environnementale RE 2020 qui la remplace ou encore les conséquences de la diffusion du “Building Information Modeling” – maquette numérique pour le bâtiment – montrent que cette construction collective n’est dénuée ni de rapports de forces, ni de contradictions. Par exemple, alors qu’elles sont toutes deux portées par la puissance publique, certes à des niveaux bien inégaux, les approches en termes d’économie de la fonctionnalité – comme les vélos en libre-service – et de réparabilité – comme les ateliers de réparation collaboratifs – sont de nature radicalement différente. De même, les formes d’organisation coopératives et participatives autour de la gestion de communs environnementaux, voire de l’énergie, s’inscrivent dans un registre de l’agir à mille lieues d’une régulation de ces mêmes enjeux par des incitations financières et des instruments de marchés (certificats blancs, crédits carbone, tarification incitative, etc.).
De l’expérimentation à l’innovation : les limites de la procéduralisation
La dimension expérimentale a toujours été au cœur de la mise en œuvre graduée ou différée des politiques techniques, mais le sens de cette expérimentation a changé de nature en se systématisant avec :
· la généralisation des partenariats public-privé, appels à projets urbains innovant, partenariats d’innovation ou contrats globaux de performance qui associent dans un même contrat la conception, la réalisation et l’exploitation ou la maintenance, avec des objectifs de résultats rendu possibles par l’incorporation d’innovations techniques et souvent une primauté donnée au numérique.
· la managérialisation de ces politiques qui s’insinue tout au long du processus, du cahier des charges cadrant les AAP qui en sont à l’origine, jusqu’à leur mise en œuvre.
· la recherche qui se trouve mobilisée non plus seulement pour ses retombées technologiques mais aussi marchandes.
Au cœur des politiques techniques, l’innovation apparaît tout à la fois comme la possibilité de créer un choc de croissance schumpétérien et comme le moyen de répondre par des solutions inédites à l’incertitude sur nos capacités à atteindre les objectifs de décarbonation. Alors que ces politiques techniques influent sur notre vie quotidienne, jusque dans nos corps, peut-on pour autant les réduire à une gouvernementalisation des conduites qui procèderait d’une simple gouvernance par les instruments ? Ce serait faire l’impasse sur la complexité, l’incertitude voire l’impuissance qui se trouvent au cœur de la procéduralisation de ces politiques techniques.
Les politiques techniques peuvent-elles incorporer l’incertitude ?
Les échecs et les problèmes que l’on vient d’évoquer montrent les limites d’une approche purement déterministe. Si par exemple, les AAP européens sont a priori des instruments de politique publique et de politique technique, ils relèvent plus de l’animation territoriale que de la recherche et remplacent bien souvent des politiques techniques que l’État n’a pas les moyens de mener. Certains choix politiques ont eu des conséquences non souhaitées par leurs rédacteurs et d’autres, techniques, n’ont pas eu de prise sur les mondes qu’ils souhaitaient réguler. Il n’est dès lors pas anodin que ces politiques techniques incorporent cette incertitude, d’une part en l’intégrant et d’autre part en l’externalisant. Elles l’intègrent en généralisant le régime de l’expérimentation et elles l’externalisent via des appels à projets ou des partenariats dans lesquels l’opérateur se voit rétribué en contrepartie du risque qu’il est supposé assumer.
L’État peut donc apparaitre comme « un penseur de la technique malgré lui » parce qu’il accorde à cette dernière une dimension certes instrumentale mais malgré tout centrale. Le peu de recherches menées sur les politiques techniques en tant que telles montre en creux le silence qui les entourent, de manière inverse au rôle éminent qu’elles jouent aujourd’hui, de manière changeante et multiforme. Ce changement de nature et cette labilité leur ont permis de reprendre à leur compte les alternatives qui émergeaient. L’urbanisme tactique, expression spatiale de l’adaptabilité louée par les collectivités, est par exemple symptomatique d’une société liquide où l’espace urbain se modifie avant même que nos manières d’agir ne réussissent à se consolider en procédures et en habitudes. La mise à l’agenda de la sobriété ainsi que la raréfaction de certaines ressources affectant l’économie générale de l’aménagement et de la construction vont-elles changer la nature de ces politiques techniques ? Il est trop tôt pour le dire mais il est plus que temps d’en débattre.
9h30 – 12h
Introduction de François Ménard
· Daniel Florentin
· Agnès Bastin
14h – 16h30
Table ronde (discutants : François Ménard et Daniel Florentin)
· Jean-Christophe Visier
· Cécile Fontaine
· Franck Boutté
· Sébastien Maire[